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MUCOVISCIDOSE ET DEPISTAGE DES PORTEURS SAINS

Question
Bonjour,

Pourquoi n'est-il pas fait automatiquement comme la toxoplasmose ou la rubéole, une recherche sur les futurs jeunes parents (sans antécédents dans la famille) qui vérifierait s'ils sont porteurs ou non du gène : je pense que cela reviendrait mois cher pour la sécu de prévenir au lieu de payer toute une vie pour soigner un enfant malade et éviterait beaucoup de désespoir !
Une grand-mère qui vient d'apprendre que son petit fils en est atteint et qui reste persuadée que cela aurait pu être éviter par un test prénatal !
Réponse
Bonjour Madame,
Veuillez tout le d’abord excuser le délai important mis à vous répondre. Vous posez une question à la fois pertinente, d'actualité ... et délicate : celle d'un dépistage de masse des porteurs d'une mutation du gène de la mucoviscidose (le gène CFTR). Le dépistage des porteurs sains est, en effet, une autre stratégie que la découverte du gène CFTR a rendu possible. Il a pour objectif de détecter, dans une population donnée, les couples en âge de procréer à risque de ¼ de transmettre la maladie à chaque grossesse. Conscients de leur risque, ces couples pourraient alors avoir accès au diagnostic prénatal pour les grossesses à venir. En pratique, ce dépistage pourrait être proposé aux couples désirant un enfant, mais également aux couples en tout début de grossesse. La terminologie anglaise fait d’ailleurs la distinction entre le « preconceptional » (avant la conception) et le « prenatal » (en début de grossesse) « carrier screening » (dépistage des porteurs). Le dépistage des porteurs est une politique de santé qui est connue pour réduire de manière significative l’incidence des maladies, comme cela a pu été démontré pour la bêta-thalassémie ou encore la maladie de Tay-Sachs. Dans le cadre de la mucoviscidose, une diminution notable de l’incidence a été observée depuis l’instauration de ce dépistage dans la région Édimbourg, dans une région du Nord Est de l’Italie ainsi que dans l’État américain du Massachusetts.
L’instauration de ce dépistage de masse a fait l’objet, dans la communauté scientifique dans les années 1990, de débats très vifs au point qu’ils ont pu conduire à l’interruption de programmes expérimentaux. Les raisons avancées contre étaient à la fois techniques et éthiques. Actuellement le problème technique est partiellement résolu. Il n’est pas aujourd’hui possible en pratique de dépister les plus de 1800 mutations identifiées du gène CFTR. L’utilisation d’un kit de dépistage d’une trentaine de mutations les plus fréquentes ne permettrait pas de dépister tous les porteurs mais cependant plus de 80 % d’entre eux en France (avec des variations suivant les régions et la distribution des mutations : 90 % en Bretagne). Les opposants avancent essentiellement des arguments éthiques : ils s’interrogent en particulier sur la pertinence de vouloir éradiquer la maladie alors que l’espérance de vie des patients ne cesse d’augmenter et que des espoirs thérapeutiques se profilent à l’horizon. Ce type de dépistage n’est pas pratiqué en France et sa mise en œuvre n’est pas actuellement prévue. La toute première expérience de dépistage des hétérozygotes a été mise en place en Écosse (région Édimbourg) en 1990. Actuellement, quelques programmes pilotes sont instaurés dans des régions à travers le monde, notamment en Italie, en Australie ou encore en Israël. Aux États-Unis, le dépistage des couples ayant planifié une grossesse et des couples en tout début de grossesse a été recommandé, dès 2001, par le Collège des Obstétriciens et Gynécologues et le Collège de Génétique Médicale. Ces recommandations viennent d’être réactualisées, et une étude récente a montré que, si la plupart des obstétriciens proposaient ce dépistage, bon nombre d’entre eux avaient un manque de connaissances indéniable. En dehors d’études expérimentales, la mise en place d’un dépistage de masse des porteurs relève donc d’un véritable programme de santé publique associant les décideurs (les autorités de santé), les payeurs (la sécurité sociale) et les professionnels experts afin, d’une part, de structurer l’organisation de ce dépistage et de la prise en charge médicale spécialisée, d’autre part, d’élaborer le plan d’information et de communication qui doit être associé. En 2009, une conférence internationale dédiée à ce sujet a été organisée à l’initiative de la Société Européenne de Mucoviscidose. L’objectif était de proposer un cadre de travail pour les pays ou régions envisageant la mise en place de ce dépistage. Le document de synthèse, publié dans le Journal of Cystic Fibrosis, rappelle les principes de ce dépistage, la population cible, les stratégies possibles, et insiste sur les problèmes d’ordre technique (choix du panel de mutations, taux de couverture, …) ainsi que sur les aspects relatifs à la communication. Il est vraisemblable que les évolutions techniques permettront dans un avenir proche une étude complète du génome d’un individu, à un coût abaissé au point qu’il ne sera plus l’élément limitant d’un programme de dépistage de masse du portage de gènes de nombreuses maladies. Si un tel programme n’est pas actuellement à l’ordre du jour en France, les progrès techniques conduiront certainement dans quelques années à reconsidérer la question de son opportunité pour des raisons notamment … éthiques : par exemple assurer l’équité d’accès à une technique afin qu’elle ne soit pas réservée aux personnes les plus aisées économiquement.
Outre avoir répondu à votre question, j’espère que, malgré ce diagnostic, les choses se passent pour le mieux pour votre petit-fils et ses parents.
Cordialement

Gilles RAULT, MD
Avec la contribution prépondérante de
Claude FEREC, MD, PhD
Professeur de génétique
Directeur de l'INSERM U613 : Génétique Moléculaire et Génétique Epidémiologique

21.08.2011
La réponse est proposée par: Dr Gilles Rault
Benchmarks for cystic fibrosis carrier screening: a European consensus document.
Castellani C, Macek M Jr, Cassiman JJ, Duff A, Massie J, ten Kate LP, Barton D, Cutting G, Dallapiccola B, Dequeker E, Girodon E, Grody W, Highsmith EW, Kääriäinen H, Kruip S, Morris M, Pignatti PF, Pypops U, Schwarz M, Soller M, Stuhrman M, Cuppens H.
J Cyst Fibros. 2010 May;9(3):165-78. Epub 2010 Apr 2.